DE
NOUVEAUX ENVAHISSEURS
Á
partir de la mort de Charlemagne, on a le sentiment que les
Carolingiens n'ont plus les moyens d'assurer l'ordre dans un aussi
vaste empire. De tous les horizons surgissent de nouveaux
envahisseurs dont les plus dangereux arrivent par mer.
Dès la
fin du VIII siècle, ceux qu'on appelle « hommes du Nord »,
c'est-á-dire Normands ou encore Vikings, les « hommes que
fréquentent les baies », abordent les côtes anglaises sur des
vaisseaux de guerre qui pouvaient contenir 60 à 70 hommes. De haute
stature, ces hardis marins devenaient, une fois débarqués, de
redoutables guerriers connaissant à fond toutes les ruses de guerre.
Avec
ses fleuves débouchant dans la mer par des larges estuaires et
coulant au pied de riches abbayes, la Francia occidentalis
était une proie tentante, un eldorado fascinant. Apparus dans la
Manche aux environs de 800, les Normands doublent le Finistère avant
819. En 811, pour renfoncer les défenses maritimes, Charlemagne
avait lui-même inspecté les flottilles de Gand et de Boulogne et
fait restaurer dans cette dernière ville le phare romain abandonné
depuis longtemps.
Profitant
des crises politiques qui marquent la fin de règne de Luis le Pieux,
les Normands multiplient leurs raids à partir de 834. Quentovic et
Dorestad, sur les débouchés commerciaux de l'Escaut, de la Meuse et
du Rhin, sont régulièrement pillés.
Le 12
mai 841, Rouen est attaqué. Le 24 juin 843, les Normands arrivent á
Nantes. Les habitants se réfugient dans l'église de Saint-Pierre et
Sant-Paul dont ils barricadent les portes. Mais les Vikings brisent
les clôtures et massacrent l'évêque dont le sang se répand sur
l'autel. En mars 845, le dimanche de Pâques, Paris, abandonné par
ses habitants est pillé et ses églises incendiées. Saint-Martin de
Tours subit le même sort en 853. À partir de 856, Paris, à
nouveau, Chartres, Évreux, Bayeux, Beauvais, Angers, Tours, Noyon,
Amiens, Melun, Meaux, Orléans, Périgueux, Limoges sont la proie de
ceux qui se rient de Dieu et vendent les chrétiens comme esclaves.
Alors commence le pitoyable exode des moines qui, pendant deux
générations, vont courir les routes pour tenter de sauver les
reliques des saints dont ils assurent la garde. L'exemple le plus
connu est la longue errance des reliques de saint Philibert, parties
de Noirmoutier en 836 pour s'installer définitivement à Tournus, en
Bourgogne, après de longues étapes dans le Poitou, puis en Velay.
Comment
l'Église n'interpréterait-elle pas ces malheurs comme le produit de
la vengeance divine ? Au concile de Meaux, en 845, les évêques
le disent bien : « Comme ses ordres divins n'étaient pas
exécutés, Dieu permit comme châtiment l'apparition des
persécuteurs des chrétiens, les Normands, qui avancèrent jusqu'à
Paris. » C'est souligner le fait que les dirigeants de la cité
terrestre n'étaient plus capables d'assurer la sécurité de la Cité
de Dieu, l'idée de défendre la collectivité ne venant pas à
l'esprit de Grands plus soucieux de profiter des circonstances que de
protéger les églises sans défense. « Dans leur
engourdissement, au milieu de leurs rivalités réciproques, écrit
Ermentaire de Noirmoutier, ils rachètent au prix de tributs ce
qu'ils auraient dû défendre, les armes à la main, et ils laissent
sombrer le royaume de Chrétiens. »
En 845,
Charles le Chauve convoque ses fidèles pour défendre Saint-Denis,
joyau des abbayes royales mais, constate le rédacteur des Annales,
« beaucoup vinrent, mais pas tous ». Mieux, ceux qui
viennent refusent l'affrontement et conseillent au roi de payer les
7000 livres qu'exige le chef normand Ragnar. En 858, alors que
Charles le Chauve s'apprête à prendre d'assaut le camp viking
d'Oscelle, près de Mantes, ses fidèles l'abandonnent pour soutenir
son frère Louis le Germanique, affirmant « qu'ils ne pouvaient
supporter plus longtemps la tyrannie de Charles ».
Puis,
comme les autres envahisseurs avant eux, les Normands songent à
remplacer la razzia par le commerce et à s'installer sur le sol de
France, nombre d'entre eux étant partis, poussés par le désir de
s'établir sur des terres plus hospitalières. Des communautés se
fixent à Bayonne, à Nantes et sur la basse Seine. En 873, les
Normands installés sur la Loire reçoivent l'autorisation royale de
créer un marché dans l'île où ils étaient établis, les esclaves
constituant l'essentiel du trafic.
Et, en
911, alors que les Normands conduits par le Norvégien Rollon
subissent pourtant une lourde défaite devant Chartres, le roi
Charles le Simple, encouragé par les archevêques de Reims et de
Rouen, a l'idée de leur proposer la défense des cités de Rouen,
d'Evreux et de Lisieux en échange du baptême de d'un serment de
fidélité. Pendant l'été 911, le roi carolingien rencontre à
Saint-Clair-sur-Epte Rollon, qui s'engage à cesser toute attaque et
à embrasser le christianisme.
Le
succès de cet « État » normand allait être
considérable, en partie grâce à la christianisation rapide de ces
païens qui déployèrent pour leur nouvelle religion un zèle de
néophytes. Tandis que d'importantes abbayes étaient fondées ou se
relevaient de leurs ruines comme Jumièges, Saint-Wandrille, Fécamp,
les villages étaient rebâtis, un grand nombre d'entre eux recevant
des noms scandinaves comme tous ceux que se terminent en beuf, de la
racine bud, que veut dire « demeure », ou en
fleur, venant du norois flodh qui veut dire « baie ».
Ces envahisseurs qui avaient mis la France à feu et à sang allaient
aussi devenir les agents le plus actifs du rayonnement de leur
nouvelle « patrie ». Singulière et nouvelle
démonstration des capacités de la France à assimiler les
« inmigrés ».
Marseille, Jacques (2002). Nouvelle histoire de la France. Paris: Perrin.
No hay comentarios:
Publicar un comentario